mercredi, 5 septembre 2007

Lecture très importante

S. : A l’avènement des refondateurs, un programme était proposé aux Ivoiriens. Pouvez-vous revenir sur votre projet de société et en même temps établir le bilan de votre mandat.

L.G. : Nous sommes venus avec des grandes ambitions pour la Côte d’Ivoire. Nous avions des grands chantiers à réaliser. Il y avait l’assurance maladie universelle, l’école gratuite pour tous, la libéralisation de la filière Café-Cacao. Une fois élu, je me suis penché sur le transfert de la capitale politique d’Abidjan à Yamoussoukro. Je n’ai pas honte du bilan que nous avons eu en rapport avec la guerre que nous avons connue. Le transfert de la capitale d’Abidjan à Yamoussoukro avance. Nous avons quatre grands bâtiments à construire pour que les choses marchent. Le palais de l’Assemblée nationale, l’hôtel des députés, le palais présidentiel et une deuxième chambre. Pour l’instant ce sera le Conseil économique et social. Mais j’ai en vue que demain cela devienne le Sénat. Nous avons achevé totalement l’hôtel des députés. Nous sommes en train de commander les meubles pour le rendre fonctionnel. L’Assemblée nationale est sortie de terre. Elle a cinq étages. Nous sommes déjà en train de terminer le premier étage. Nous faisons une Assemblée nationale de cinq cents places. On n’aura pas cinq cents députés. Mais c’est une façon de faire en sorte que dans l’avenir mes successeurs n’aient pas de problème. Le palais présidentiel sera très original. A partir de septembre, octobre les poteaux qui vont porter les murs sortiront de terre. Nous n’avons pas encore commencé le Sénat. Ensuite, on fera l’habillage. Nous avons l’autoroute que je veux continuer jusqu’à la frontière du Burkina. Nous avons lancé les travaux de l’autoroute, il y a de cela deux semaines. Nous n’avons pas achevé mais déjà il était en chantier. Nous avions supprimé les frais d’écolage qui grevaient le budget des parents inutilement . Nous distribuons des livres pour la plupart des écoles primaires. Nous devrions aller plus loin. Mais la guerre a freiné nos ambitions. Pour l’Assurance maladie universelle, (AMU) nous avons fait voter la loi. Malheureusement l’AMU également n’a pas connu d’application pour cause de guerre. Nous avons vraiment posé les bases de la refondation de la Côte d’Ivoire. La plupart des textes législatifs sont pris. Il y a aussi la décentralisation. Nous avons d’abord créé les conseils généraux des départements. Aujourd’hui tout le monde est unanime. Tous ceux qui avaient récusé la loi, ce sont tous présentés aux élections. Il y a les présidents des conseils généraux de toutes les familles politiques. En 2000, la Côte d’Ivoire avait 198 communes. Aujourd’hui nous en avons plus de 700. Tous les villages, tous les sites habités de Côte d’Ivoire sont dans une commune. Ici Koudougou a été érigé en commune (rires), c’est un gros village d’Ivoiriens mais d’origine burkinabè.
Tous les projets pour les régions sont prêts. Mais nous attendons peut-être la rentrée pour les mettre sur pied. Je n’ai pas les bilans. Les écoles sont construites dans des lieux où personne n’allait. Les centres de santé sont construits. Les gens ont leur destin en mains. La démocratie ce n’est pas seulement aller aux urnes tous les cinq ans, mais c’est aussi porter les fruits de l’effort vers les populations à la base.
On a rendu beaucoup de liberté aux Ivoiriens. Nous ne nommons plus de recteurs en conseil de ministres. Nous avons des présidents des conseils d’universités élus. Mon esprit c’est de donner aux gens leur propre pouvoir. D’ailleurs pendant la campagne, j’ai dit aux Ivoiriens, donnez-moi le pouvoir pour que je vous le rende.

S. : La filière Café-Cacao échoit aux paysans sans trop de réussite.

L.G. : Cette filière a été rendue aux paysans. C’est vrai. Ce sont donc des paysans eux-mêmes qui géreront leurs productions. Moi j’observe. Quand on dit que c’est mal géré, je rigole dans mon coin et je prends des notes pour que demain on fasse une autre réforme, pour que les paysans aient toujours leur filière. Quand les gens n’ont pas l’habitude d’avoir beaucoup d’argent et que subitement ils en ont beaucoup, il y a parmi eux, certains qui se laissent un peu aller. Nous avons rendu beaucoup de liberté aux Ivoiriens.

S. : N’est-ce pas un piège? Quand on n’a pas l’habitude d’avoir beaucoup d’argent, on perd la tête lorsque subitement on en dispose assez. N’est-ce pas pareil avec la liberté qui, d’un coup, tombe entre les mains ?

L.G. : De toutes les façons, c’est la liberté et il faut récolter les dividendes. J’ai par exemple décidé de ne mettre aucun journaliste en prison, c’est aussi un des points de mon programme. Je ne supprime pas pour autant leur liberté parce qu’ils l’utilisent mal. Je n’ai jamais mis un journaliste en prison. Mieux, j’ai fait voter une loi interdisant d’envoyer les journalistes en prison. En Afrique on ne compte pas beaucoup de pays qui ont fait pareil et en pleine guerre. Donner la liberté aux gens, c’est leur donner la capacité de choisir. J’attends dans un moyen terme que les gens aussi laissent les dirigeants diriger. On ne peut pas avoir tous les résultats en même temps. C’est certainement dans un moyen terme qu’il faudra attendre ces résultats.

S. : Guillaume Soro a d’abord été votre élève, ensuite votre opposant le plus redouté et aujourd’hui il est votre Premier ministre. Quelle est la nature de vos relations avec Soro ?

L.G. : Ce sont des relations entre un président et un Premier ministre. C’est la loi de la vie.

S. : Est-ce qu’il y a de l’affectivité ?

L.G. : Soro et moi on se connaît depuis longtemps. C’est l’un des rares de sa génération qui connaît mon village, qui a dormi dans ma maison au village. Je n’ai pas de problèmes avec Soro. La vie a des aléas, la vie n’est jamais linéaire. Et puis la vie n’est jamais un long fleuve tranquille. Il faut s’adapter. Quand on fait la politique il ne faut jamais dire un mot qui puisse définitivement fermer une porte. C’est ce que j’ai appris tout au long de mon long parcours. On peut critiquer, on peut être dur. Mais il ne faut jamais dire un mot qui ferme la porte. J’ai toujours des portes ouvertes, ce qui me permet aujourd’hui de travailler avec Soro Guillaume.

S. : Si en un mot vous deviez qualifier les relations avec le Premier ministre que diriez-vous ?

L.G. : Elles sont bonnes

S. : Avec Charles Konan Bany c’était un tandem. Et avec Soro ?

L.G. : Non non, les relations avec Soro Guillaume sont merveilleuses.

S. : Vous avez des propos quasi messianiques. Pourquoi êtes-vous si attaché à la religion ?

L.G. : La religion reste le dernier refuge de l’homme. C’est ce qui explique tout ce qu’on ne peut pas expliquer. Il y a tellement de choses qu’on ne peut pas expliquer. J’ai mené une longue vie. J’ai 62 ans maintenant. J’ai traversé beaucoup de choses. J’ai connu beaucoup d’ethnies. J’ai vécu chez des Baoulé, au quartier Dioula, j’ai eu des amis de toutes origines ethniques, sociales etc... et cela me permet de relativiser les choses de la vie. Ne pas être si triomphaliste quand vous avez une victoire. Mais ne pas être désespéré quand vous avez un revers. Mais tout cela est possible quand on pense qu’il y a quelque chose qui est supérieur. Il y a Dieu. Mes rapports avec Dieu ne sont pas des rapports de complaintes, mais ce sont des rapports vivants. Tant que je fais mon travail en ayant la conscience tranquille, je repose sur Dieu. Au moins une fois par jour, j’avance l’esprit tranquille.

S. : Vous n’êtes pas déçu des hommes ?

L.G. : Mais si ! Les hommes ne sont pas Dieu. L’essentiel c’est que je ne suis pas déçu par Dieu. Dès l’instant où on n’est pas déçu par Dieu, la déception qui vient des hommes n’est pas importante.

S. : Quelle peut être la nature aujourd’hui des relations entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso ?

L.G. : Fondamentales. Elles doivent être fondamentales. Je pense que la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso doivent avoir une union qui soit la base même de l’Union Ouest africaine. Dans l’histoire coloniale de l’Afrique de l’Ouest, il n’y a pas deux pays qui ont été aussi intimement liés que la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Ils ont été liés au point de former un seul pays. Ouagadougou était la deuxième ville de Côte d’Ivoire. Bouaké en était la troisième, et Abidjan la première. Ouezzin Coulibaly était député de la Côte d’Ivoire. Houphouët Boigny faisait campagne à Ouagadougou chez le Moro Naaba pour être député. Il ne faut pas l’oublier. C’est pourquoi quand les politiciens, avec tous les sens péjoratifs, veulent instrumentaliser les difficultés des Burkinabé en Côte d’Ivoire, ils font mal. Ils font mal à des êtres humains, à des relations entre deux pays. Parce que les rapports qui existent en Côte d’Ivoire entre les Ivoiriens et les Burkinabé sont des rapports tout à fait différents. Mais nous devons avoir l’intelligence de les codifier de façon particulière puisque l’histoire a été particulière pour nos deux pays. Je ne connais pas une ville en Côte d’Ivoire, où il n’y a pas de Burkinabè. Même dans mon petit village de Mama, il y a un quartier où il y a des Burkinabè. Quand j’arrive au village, ils viennent m’accueillir avec un coq. On a eu cinq ans de crise. On a dit que les étrangers étaient chassés, pourchassés par la xénophobie. Les Burkinabé qui sont dans mon village, n’ont jamais bougé.
Les villages de Koudougou, de Koupéla, de Garango n’ont jamais été inquiétés. C’est ça les relations entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. C’est pourquoi nous devons codifier ces rapports de façon particulière.

S. : Avec la France, est-ce que vos rapports se normalisent

L.G. : Oui, j’ai reçu un coup de fil du président Sarkozy et cela m’a fait plaisir.
La France est un pays développé, c’est peut-être la 4e puissance du monde. Nous en tenons compte dans nos rapports. C’est un pays développé, un pays qui a un veto au Conseil de sécurité. En un mot, c’est un pays puissant. Mais je pense que chacun dirige sa diplomatie comme il pense qu’elle est utile à son pays. C’est ce que nous faisons.

S. : Des Burkinabè se sont retrouvés en association dénommée “Club des amis de Laurent Gbagbo” au Burkina. Avez-vous eu connaissance de la création de cette association et qu’en pensez-vous ?

L.G. : Oui, j’ai pris connaissance de l’existence de ce club dans les journaux en Côte d’Ivoire. Mais je n’ai pas encore rencontré les membres de ce club. Peut-être que s’ils viennent en Abidjan, je les rencontrerai. C’est une bonne chose.

S. : En général ces associations sont créées pour soutenir ceux qui nous dirigent seulement. Cela ne vous semble-t-il pas suspect ?

L.G. : Je n’en sais rien. Je ne vais pas juger les gens. Ils ont créé leur association, je ne les connais même pas. Je suis toujours pour laisser la liberté aux gens, pourvu que ça ne nuise pas à la loi.

S. : A quand la prochaine visite du “Camarade” Laurent Gbagbo à Ouagadougou ?

L.G. : Pour le moment on a beaucoup de choses à faire. J’appelle Blaise. Quand il est là, il m’appelle. Pour le moment on a beaucoup de choses à faire pour normaliser la situation. Quand il y a quelque chose à faire à Ouaga, je vais on parle et je reviens. Quand il y a quelque chose à faire à Abidjan, Blaise y vient. Ce n’est pas un problème.

S. : Votre épouse tient une place particulière à votre côté. Si en quelques mots vous deviez parler d’elle, que diriez-vous ?

L.G. : Ce n’est pas une place particulière. Elle est un élément fondamental du FPI. Le jour où on créait le FPI, il y avait Pascal Kokora, Abdoudramane Sangaré, Simone Ehivet, Boga Doudou et Laurent Gbagbo. Nous étions cinq. Simone n’est pas une fille que j’ai épousée parce que je suis devenu président de la République. Nous luttons ensemble depuis des lustres. Quand nous avons tenu le congrès extraordinaire pour doper le FPI clandestin c’était en 1988, on était vingt. Il y avait deux femmes. Mon épouse et ma soeur. C’est-à-dire que si nous avions été pris, ma soeur, mon épouse et moi aurions été arrêtés. Elle est un élément important comme Sangaré Abou Dramane avec qui nous avons créé le FPI. Ce n’est pas parce qu’il est mon ami qu’il est avec moi. C’est parce que nous venons de la même racine que nous sommes ensemble, et que nous sommes amis. Et ma femme c’est ainsi. Ce n’est pas parce que je l’ai épousée que ça a changé quelque chose pratiquement. C’est peut-être parce que nous sommes comme ça que nous nous sommes mariés.

S. : Excellence, nous sommes au terme de cet entretien. Nous vous laissons le soin de conclure.

L.G. : Je voudrais dire au peuple burkinabé que cette guerre a fait du mal à nos rapports. Mais je pense que si nous sommes intelligents, elle nous a ouvert les yeux aux uns et aux autres. La guerre nous a montré ce qu’il ne faut pas faire. C’est-à-dire croire bêtement à ce que tous les pêcheurs en eau trouble racontent. Peut-être qu’il y a des gens qui ont intérêt à ce qu’il n’y ait pas de bons rapports entre la Côte d’Ivoire et le Burkina. Mais j’ai des attaches terribles avec le Burkina. Quand j’allais en exil, c’est par le Burkina que je suis passé. Or si je n’avais pas été en exil peut-être qu’aujourd’hui, je ne serai pas assis ici comme chef de l’Etat. J’ai tellement de souvenirs avec le Burkina. Et puis Blaise Compaoré, je ne le connais pas parce que je suis devenu président. Depuis 1989, je le connais. Je n’ai aucun problème, aucun complexe ni d’infériorité, ni de supériorité par rapport au Burkina. Il faut que chaque Burkinabé soit comme cela aussi vis-à-vis de la Côte d’Ivoire. C’est vraiment ce que je souhaite.

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