samedi, 16 décembre 2006

Message du président Laurent Gbagbo lors du 3ème sommet des jeunes leaders d'afrique qui se tient actuellement à Abidjan

Monsieur le Premier Ministre Idrissa SECK, cher ami, cher petit frère ;
Monsieur le représentant du Médiateur de la République ; Mesdames et Messieurs les Ministres ;
Mesdames et Messieurs les Elus ;
Messieurs les Officiers Supérieurs de l’Armée ;
M. le Président du Congrès Panafricain des Jeunes Patriotes (COJEP) ;
Mesdames et Messieurs les Chefs de délégations ; Chers amis, Jeunes patriotes ;
Chers frères de combat ;
Honorables Chefs coutumiers et Dignitaires religieux de Cocody ;
Distingués invités, Mesdames et Messieurs ;
Vous m’invitez à ce troisième sommet, et, comme d’habitude, je réponds favorablement, parce que c’est vous et, c’est moi. Mais parce qu’aussi, je me souviens du moment où jeunes, nous menions le combat. Mais nous, nous n’avions pas de grands frères. C’étaient les partis uniques. Et nous qui étions en rupture avec le parti unique, nous n’avions pas de modèles. C’était à la fois difficile et facile.

C’était difficile, parce que c’est toujours difficile de se frayer un chemin soi-même. C’était facile, parce que, comme c’est nous qui étions emmenés à frayer le chemin, il nous était loisible de fabriquer ce qu’il fallait. Mais déjà, en ce temps-là, nous parlions entre nous au niveau de l’Afrique. Je parlais avec mes amis Philippe Ouédraogo du Burkina Faso, Savané du Sénégal. On parlait de la voie la meilleure pour sortir du carcan du parti unique, et lancer l’Afrique sur la voie du développement. C’étaient des combats purs et pénibles.
Je me souviens, de la fin des années 70 quand j’ai expliqué aux autres qu’il fallait laisser tranquille les textes marxistes, que nous connaissons tous par cœur. J’ai lu tout Max, les 48 tomes de Lénine. Mais, il fallait laisser ces textes et fabriquer un chemin à nous. Nous étions dans la confrontation Est-Ouest, et, par conséquent, quiconque dans un Etat africain se réclamait du marxisme allait se faire broyer. Au sud, au Cap, Mandela était en prison, précisément parce qu’il se réclamait de ce courant. Il fallait être malin en réclamant la démocratie. Il fallait lutter pour la démocratie. Je me souviens que j’ai essuyé une volet de bois verts. Un petit bourgeois fatigué de se battre, un traître caché parmi nous, un homme fatigué du combat. Il y en a un qui m’a même dit :’’Camarade GBAGBO, dois-je t’appeler encore camarade ?’’. Mais, comme Victor Hugo luttant contre Napoléon III, je leur ai dit : ‘’c’est ici le chemin. Et que s’il n’en reste qu’un seul, je serai celui-là’’. La lutte et la détermination ont aujourd’hui fini par convaincre tous ceux qui doutaient hier de cette voie qui est la seule et la meilleure : c’est ça la persévérance.

Nous nous sommes donc battus, et, aujourd’hui, nous sommes rentrés dans la voie de la démocratie. Alors, évidemment, en Afrique, il y a des secousses. Ah oui, la démocratie, on ne l’acquiert pas en un seul jour. La démocratie ne s’acquiert pas en seize ans seulement. Les démocraties en Occident se sont forgées au moins en 200 ans. J’espère qu’en Afrique, nous irons plus vite, puisque nous avons déjà des balises, des témoignages. Mais, les choses ne se font pas vite. Les choses se font tranquillement. Souvenez-vous que je vous dis souvent : ‘’ doucement, doucement, nous sommes pressés’’. Nous sommes pressés, c’est pour cela qu’il ne faut pas courir. Pour construire la démocratie, il ne faut pas courir ; il faut aller tranquillement.

Pourquoi la démocratie ? Parce que sans la liberté, il n’est pas possible de construire une économie solide. Regardez dans le monde entier. Sans la liberté, il n’est pas possible de construire une économie solide. Je vous invite donc à vous mobiliser pour la démocratie.

A présent, nous allons revenir à votre thème. Vous avez souhaité qu’on parle un peu des résolutions de l’ONU et des crises africaines. Je vais vous en dire deux mots. Tout le monde connaît mes rapports avec le Président Paul KAGAME. Je ne vais pas faire ici de la diplomatie, ni dévoiler les rapports diplomatiques. Mais c’est un homme bien. Plus tard, nous parlerons de lui. Mais ce que je veux dire, c’est que l’ONU a été créée en 1945 ; qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire qu’elle a été créée à la fin de la deuxième guerre, et ce sont les cinq vainqueurs de la guerre qui l’ont créée. En la créant, les cinq vainqueurs se sont mis membres permanents du Conseil de Sécurité, avec droit de veto. Il s’agit des Etats-Unis, de l’ex-Union Soviétique devenue de la Russie, de la Chine, de la France, de la Grande Bretagne. C’est ça le Conseil de Sécurité.

C’était en 1945, au moment où cette génération naissait. Aujourd’hui, il y a plus de 60 ans. Entre temps, les Etats colonisés d’Afrique, d’Asie, d’Amérique Latine sont tous devenus indépendants. Dans le Pacifique, il y a encore des petits Etats qui luttent pour leur indépendance. Mais, quasiment toutes les terres et toutes les mers ont acquis leur indépendance. Et L’ONU reste rigide avec ses cinq membres permanents du Conseil de Sécurité. C’est une première faute. C’est une première faute, parce qu’on ne peut pas corriger les plaies de 1945 avec les maux de 2006. Ce n’est pas possible. Les Etats sont devenus nombreux, la population est passée d’un milliard et demi à 6 milliards aujourd’hui. Les problèmes se sont multipliés par dix, par quinze et par vingt. Je dis qu’il n’est plus possible qu’on reste à New York et qu’on règle chacun des problèmes qui se posent à travers le monde. Je dis qu’il n’est plus possible aujourd’hui que les mêmes messieurs du Conseil de Sécurité à quinze, à partir de New York, règlent à la fois les problèmes de Nouvelle Papouasie, de Côte d’Ivoire, de Birmanie, et d’Australie. Cela n’est pas possible. C’est pourquoi, nous étions un groupe à Syrte, à dire que les Africains se trompaient. Quand nous avons eu à discuter de la réforme de l’ONU, il y en a qui ont discuté de la réforme du Conseil de Sécurité. C’était une erreur. Il nous faut aujourd’hui discuter de la réforme de l’ONU. Quelle ONU voulons-nous ?

Mon avis, chers amis, -le monde que vous allez affronter demain, car c’est vous qui allez conduire le monde, à partir des années 2010, 2015- est qu’il ne faut pas se contenter de faire une réforme du Conseil de Sécurité. Il faut faire une réforme de l’ONU. Aujourd’hui, est-ce que les cinq vainqueurs de la guerre, qui s’est achevée il y a 60 ans, sont capables d’abandonner leurs privilèges en matière de droit de veto ? C’est la première question. S’ils ne sont pas capables d’abandonner ce privilège immense qui leur donne droit de vie et de mort sur tout sujet dans le monde, alors, faisons une autre réforme. Je préconise chers amis, que l’ONU et son Conseil de Sécurité demeurent un bureau de liaison. Et qu’au niveau de chaque continent, les organisations continentales aient une parcelle du pouvoir actuel de l’ONU pour gérer localement les affaires du continent. Au regard de la crise du Rwanda hier et de la crise de la Côte d’Ivoire aujourd’hui, de la crise de la Nouvelle Calédonie que je vois venir de loin, de la crise de la Birmanie, de la crise de la Chine, au regard de tous ces problèmes-là, je pense qu’il faut que les organisations continentales aient un poids plus fort, et que le Conseil de Sécurité actuel leur cède une part de ses pouvoirs pour régler les problèmes locaux. Que le Conseil de Sécurité les avalise. Parce que aujourd’hui, tout ce qu’on écrit à New York sur la Côte d’Ivoire, part du concept de texte de Marcoussis. Or le texte de Marcoussis n’aurait jamais été écrit en ces termes dans aucune capitale Africaine. Aucun Chef d’Etat africain n’aurait jamais pensé à mettre sur le même pied d’égalité, les rebelles et un Chef d’Etat élu. Mais cela a été possible parce qu’on était hors d’Afrique. C’est pourquoi, je plaide fondamentalement pour que le Conseil de Sécurité reste un bureau de liaison, qui récolte les moyens matériels et financiers, qui les redistribue là où il y a des problèmes. Mais qu’il laisse le règlement fondamental des crises aux institutions régionales. Telle me semble, chers amis, la voie qu’il nous faut suivre. Sans cette voie-là, le monde va à la perdition. Parce qu’on aura à l’ONU des fonctionnaires de plus en plus coupés des réalités du monde, et qui prendront des décisions selon des schémas qui n’ont rien à voir. Sans cette réorganisation, mes chers amis, a quoi assisterons-nous ? On assistera au fait que l’ONU devienne comme le Fonds Monétaire International. Est-ce que vous avez déjà vu le FMI sortir un pays du sous-développement ? Jamais. Donc, toutes les Institutions internationales deviendront comme ça, si on ne régionalise pas leurs branches actives. Exemple : le représentant du Qatar au Conseil de Sécurité, qu’est-ce qu’il sait de la Côte d’Ivoire ? Quand on lui dit que la Côte d’Ivoire est coupée en deux, et que les rebelles sont installés à Bouaké, est-ce qu’il s’imagine ce que c’est que Bouaké et Korhogo ? Mais il vote et prend part au débat. Et comme il faut qu’il vote, il va aller s’adresser à celui dont il dit qu’il en sait plus, donc à la France. Il demande à la France : ‘’Au fond, qu’est-ce qui se passe en Côte d’Ivoire ?’’ et la France de lui dire ce qu’elle veut, et, par la suite, il vient voter. Non, les problèmes ne sont pas résolus. Les problèmes sont bâclés parce que cette organisation que nous avons aujourd’hui est dépassée. Dans son mode de fonctionnement et dans sa structure même au sein des pays développés, les pays vaincus hier, qui ont été exclus du droit de veto comme l’Allemagne, le Japon, l’Italie, regardez-les aujourd’hui, sont parmi les principales puissances économiques du monde. Puisqu’ils ne peuvent pas être membres du Conseil de Sécurité, on a été obligé de créer le G7, et, par la suite, le G8 pour les réintégrer. Puisqu’il faut absolument qu’on prenne leur avis quelque part. Donc, au lieu de tricher - parce que c’est de la triche -, et de créer des petits groupes ici et là, pour récupérer ceux qui sont importants, mais qu’on ne peut pas prendre, parce qu’on fonctionne sur des règles désuètes, faisons une réforme claire.

Parce que si on fait la réforme et que le règlement des problèmes européens revient à l’Europe, vous allez voir que l’Allemagne sera au centre de tous débats. Si le règlement des problèmes asiatiques revient à l’Asie, la Chine et le Japon seront au centre de tous les débats. Si le règlement de l’Afrique revient à l’Afrique, naturellement, la Côte d’Ivoire n’est pas n’importe qui en Afrique. Donc, je propose cette réforme. Voilà la réflexion que je voulais vous donner. Au lieu de dire seulement « Je soutiens un tel », je voulais une perspective de réflexion, pour que demain, vous autres qui allez continuer le combat que nous menons, vous soyez capables de la prolonger, de la corriger, de l’enrichir, de l’amender. C’est pourquoi je vous fais ces propositions. Je voudrais vous dire ensuite que, comme le Premier Ministre Seck l’a dit tout à l’heure, nous arrivons à la fin de la crise. Vous savez que la guerre est finie depuis 2003. C’est la crise qui persiste, parce qu’en fait nous sommes, maintenant, dans une crise de la honte, d’où personne ne veut sortir honteux. Ni nous qui estimons que nous avons raison, ni les rebelles, ni tous les autres acteurs. Il nous faut trouver les mots justes, les attitudes correctes.

Je vous ai reçus tous, toute la population ; les jeunes, les femmes, les travailleurs, toutes les régions. Et je vous ai dit que j’allais faire une déclaration, pour faire des propositions. Je la ferai dans la semaine qui vient.

Il m’a fallu un peu de temps, pour tout analyser et pour réfléchir, mais aussi pour consulter à l’intérieur, comme à l’extérieur. Avant le Sommet de la CEDEAO qui a lieu le 22, et le Sommet de l’UEMOA qui a lieu le 23, je m’adresserai à vous, à la Nation, pour faire les propositions du Président de la République, pour terminer la crise. Ce seront des propositions justes, qu’il faut pour balayer et nettoyer la maison. Des propositions pour rassembler tous les Ivoiriens autour de notre seul idéal : la Côte d’Ivoire. Parce que je crois que les Ivoiriens ne savent pas assez ce que c’est que la Côte d’Ivoire. Quand tu es Ivoirien et que tu vis en Côte d’Ivoire, tu ne sais pas ce qu’est la Côte d’Ivoire. Mais l’Afrique a besoin de nous, de la Côte d’Ivoire.

Savez-vous ce que Thabo M’BEKI m’a dit, la première fois qu’il est venu ici pour commencer sa médiation? Il m’a dit : « Monsieur le Président, il y a deux pays qu’il nous faut guérir. Quand ces deux pays seront guéris, l’Afrique prendra son envol : la République Démocratique du Congo et la Côte d’Ivoire ». Aujourd’hui, je crois que pour la RDC, ça commence à aller. Des institutions sont mises en place. Pour la Côte d’Ivoire aussi, ça ira.

Bien sûr, la paix n’arrange pas tout le monde. Ce sont ces écueils-là qu’il faut éviter. La paix et les élections n’arrangent pas tout le monde. Mais, il faut qu’on les emmène à la paix et aux élections. Il nous faut réaffirmer clairement notre volonté d’aller aux élections pour nous mesurer les uns aux autres, et pour donner la parole au peuple.

Nous autres, nous disons toujours que nous sommes les enfants des élections. Nous ne sommes pas des héritiers. S’il n’ y avait pas d’élections, je n’aurais jamais été Président de la République. Si on ne s’était pas adressé directement au peuple, je n’aurais jamais été à la place où je suis. J’ai donc intérêt, plus que tout autre, à donner la parole au peuple. Mais, il nous faut remplir les conditions de cette élection. Je prends devant vous de faire tout, pour que les élections aient lieu, l’année qui vient. Au moins, pour avoir un vrai gouvernement et pour relancer l’économie.

Nous sommes condamnés à tout faire pour aller aux élections, et nous irons aux élections. Un gouvernement où les ministres vous appellent ‘‘Excellence’’, mais qui complotent contre vous, le soir, pour vous faire partir, ce n’est pas un gouvernement. Un gouvernement, c’est une équipe solide et solidaire, autour d’un homme qui la dirige. Dans notre cas, c’est autour du chef de l’Etat. Il nous faut tout faire pour que mon pays retrouve son équilibre. Ceux qui veulent critiquer continuent de critiquer. Pourvu qu’ils perdent l’habitude de prendre les armes. Vous avez entendu parler, ces temps-ci, ‘’de coups d’Etat’’. Restez tranquilles. On les voit. Mais, cela ne nous empêchera pas d’avancer. A la fin, nous sommes dans une course de haies. On a sauté cette haie. Il y a encore deux autres haies qui vont venir et que nous allons sauter. Comme on les a vues, nous pouvons les sauter.

Chers amis, soyez les bienvenus en Côte d’Ivoire. Quand vous allez repartir, que Dieu vous accompagne. Que vous retourniez tranquillement. Vous aurez à lutter contre le colonialisme brut. Nous, nous devons lutter contre le néocolonianisme, c’est à dire, contre le colonialisme pervers. Nous sommes prêts pour ce combat et pour tous les autres.

Que Dieu vous bénisse. Qu’il bénisse l’Afrique. Qu’il bénisse la Côte d’Ivoire. Je déclare ouvert le troisième Sommet des jeunes leaders d’Afrique. Je vous remercie.

Aucun commentaire: